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LA RECHERCHE SPIRITUELLE
DANS LE BOUDDHISMEThích Thiên Châu
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A - BOUDDHA : LE FONDATEUR DU BOUDDHISME I - HISTOIRE
a - Découverte de la souffrance humaine
b - A la recherche de la véritéII - SIGNIFICATION
B - LE BOUDDHISME
I - LA DOCTRINE
1 - Les doctrines fondamentales
a - La doctrine de la production conditionnée (paticcasamuppâda)
b - La doctrine de l'insubstantialité (anattâ)
c - La doctrine de l'impermanence (anicca)2 - Les doctrines appliquées
a - La souffrance (dukkha)
b - L'origine de la souffrance (samudaya)
c - La suppression de la souffrance (nirodha)
d - La voie conduisant vers la suppression de la souffranceII - SIGNIFICATION
1 - Le bouddhisme en tant que Voie Juste - Milieu
2 - Le bouddhisme comme philosophie pragmatique
3 - Le bouddhisme comme religion non - théisteC - LA RECHERCHE SPIRITUELLE DANS LE BOUDDHISME
1 - La nécessité spirituelle pour l'homme moderne en crise
2 - Une voie ancienne et nouvelle
3 - L'attitude nécessaire à celui qui recherche la spiritualité dans le bouddhisme
Né il y a 25 siècles, le Bouddhisme demeure l'une des grandes religions pratiquées dans le monde. Depuis, ayant eu à s'adapter à diverses civilisations et sociétés, l'expression de sa pensée comme sa pratique a subi des changements. Méthode de pensée et art de vivre à l'origine, il s'est transformé en une philosophie plus ou moins spéculative, un culte de dévotion, un rituel vulgarisé, etc. . .
Malgré la perte d'influence observée dans certaines régions du globe, le Bouddhisme reste encore une religion bien vivante dans la plupart des pays asiatiques.
Depuis quelques décennies, il s'est implanté en Europe et en Amérique, sous diverses formes philosophiques, littéraires, thérapeutiques, etc...
En raison de l'originalité de sa problématique, il est certainement difficile pour les débutants de comprendre la pensée bouddhique et son apport dans le domaine de la spiritualité.
Il est donc utile de s'interroger sur le bouddhisme et sa raison d'être. Nous ne pouvons pas étudier ici le bouddhisme dans son ensemble. Aussi, nous nous limiterons à quelques notions doctrinales de base constituant le bouddhisme fondamental dont s'inspire l'homme moderne dans la recherche spirituelle.
Pour une meilleure compréhension du bouddhisme, nous allons essayer, en quelques lignes, de rappeler les faits les plus saillants de la vie de son fondateur : Bouddha.
A - BOUDDHA : LE FONDATEUR DU BOUDDHISME I - HISTOIREBouddha est un terme employé pour désigner les personnes qui ont atteint l'éveil parfait. Il existait déjà des Bouddhas dans le passé, comme il y en aurait dans le futur. Le Bouddha que nous vénérons, est le Bouddha du présent.Selon les Annales bouddhiques, naquit, il y a plus de 2500 ans, le prince Siddhatta, fils unique du roi Suddhodana et de la reine Mâyâ. Il appartenait au clan des Sâkya qui habitait le nord de l'Inde, dans la région du Népal actuel, au pied de l'Himalaya, sur le bord du fleuve Rohini, et dont la capitale était Kapilavattlu.
Le roi et la reine, riches et vertueux, étaient toujours tristes et soucieux de l'avenir du royaume, car ils n'avaient pas d'héritier jusqu'ici.
Un jour de grande fête religieuse, la reine passa toute la journée à distribuer argent et victuailles aux pauvres et aux déshérités.
La nuit suivante, la reine fit un rêve. Elle vit descendre du firmament un éléphant à six défenses, et dont la trompe était munie d'un lotus blanc. L'animal s'approcha de la reine, et s'introduit dans le côté droit de son corps. Des célèbres voyants prédirent la naissance prochaine d'un prince exceptionnel, et la reine fut enceinte à ce moment - là. La famille royale fut très heureuse de cet événement. La naissance arriva à son terme, et suivant les traditions millénaires, la reine retourna chez ses parents pour l'accouchement. Elle s'arrêta en cours de route dans le parc Lumbini qu'elle devait traverser afin de contempler le beau paysage. Et au moment où elle leva son bras pour toucher une fleur, elle mit au monde un garçon. C'était le jour de la pleine lune du mois de Vaisakha (Vesak), le quatrième mois du calendrier indien.
Dès la naissance du prince héritier, une joie immense éclata dans tout le royaume. L'ermite Asita sollicita du roi l'autorisation d'entrer dans le palais pour admirer le nouveau né. Il fut d'abord très heureux de découvrir un bébé royal en excellente constitution physique, puis devint aussitôt très peiné, et se mit à pleurer. Le roi s'inquiéta et lui demanda la cause de son chagrin. " Sire, lui répondit - il, le prince est un être exceptionnel. S'il menait plus tard une vie normale comme tous ses contemporains, il serait un excellent roi. Mais s'il se faisait moine, il deviendrait un Bouddha. Je suis heureux de cette éventualité, et en même temps, je suis triste, parce qu'étant âgé, je ne serais plus là pour profiter de son enseignement."
La reine mourut sept jours après la naissance du prince. C'est sa soeur, la princesse Mahâpajjapâti qui l'éleva. Extrêmement douce, très intelligente et très discrète, elle lui enseigna la littérature, et l'art du maniement des armes. Mais le prince resta toujours angoissé.
a - Découverte de la souffrance humaine
Le prince avait alors sept ans, lorsqu'un jour son père le conduisit aux champs pour assiter à la célébration des travaux. Comme il faisait chaud, le prince s'est assis à l'ombre d'un arbre pour regarder se dérouler la cérémonie. Le roi labourait la rizière avec une charrue sertie de perles, guidant cet instrument aratoire derrière des boeufs beaux et forts. Le soc de la charrue, tout en retournant la terre, mit à nu les larves, les décapita, et du sang coula un peu partout. Un groupe d'étourneaux noirs voltigea autour de la charrue, et se disputa les vers ainsi mis à découvert. Cet atroce spectacle mit le prince en face des réalités de la vie et le plongea dans une profonde tristesse.Au retour de la fête, il délaissa tout le faste de la Cour, devint encore plus réfléchi, plus calme qu'avant.
Le roi se souvint alors des prédictions de l'ermite Asista et craignit que le prince cherchât à déserter le palais, et à renoncer aux choses matérielles de ce monde. Il multiplia tous les subterfuges pour divertir son héritier, fit construire à dessein trois nouveaux et merveilleux palais, chacun adapté à l'une des trois belles saisons de l'année : été, saison des pluies et automne. De plus, il le maria avec la princesse Yasodhara, alors que le prince n'avait que seize ans.
Mais, ni la vie dorée de la Cour, ni l'amour de la douce et belle princesse Yasodhara ne venaient à bout de la tristesse et des soucis du prince héritier.
Afin de se faire une idée exacte de la vie matérielle, il sollicita du roi l'autorisation de faire quelques promenades à travers la capitale.
A sa première sortie, il rencontra un vieillard et fut frappé de sa maigreur, de sa pauvreté et de ses difficultés de déplacement, puisqu'il ne pouvait s'avancer qu'avec l'aide d'un bâton.
La deuxième sortie le mit en présence d'un malade, et la troisième d'un enterrement.
Ces trois épreuves inattendues et insupportables le plongèrent dans une infinie et profonde tristesse, et le conduisirent à réfléchir davantage sur les souffrances humaines.
A plusieurs reprises, le prince interrogea ses professeurs sur ces viscissitudes humaines et les moyens de les supprimer. Les réponses qui lui furent données abondaient plutôt dans le mysticisme, manquaient de raisonnement valable et de sagesse. Elles ne lui donnèrent aucune satisfaction.
b - A la recherche de la vérité
A la différence des trois rencontres précédentes, la quatrième sortie le mit en présence d'un moine errant qui lui semblait posséder un certain degré d'éveil et de libération.De retour au palais, il se décida alors de quitter sa vie princière et de se consacrer à la recheche de la vérité.
Après mûres réflexions, il se prépara à fuir la Cour, attendant une occasion propice. C'est à ce moment - là qu'il apprit que son épouse Yasodhara avait mis au monde un garçon. Cette heureuse nouvelle fut pour lui un encouragement à la réalisation de son projet : son père, maintenant assuré d'avoir un successeur, souffrirait moins de son absence.
Le prince, alors âgé de 29 ans, choisit la nuit qui succéda à un festin royal, mettant à profit un certain relâchement de surveillance de la garde impériale pour partir. Il fit ses adieux à son épouse, embrassa son fils Rahula, et quitta définitivement le palais accompagné de son fidèle écuyer Channa et de son cheval préféré Kanthaka. Les deux hommes voyagèrent toute la nuit et arrivèrent le lendemain matin au bord de la rivière Anoma.
Le prince descendit de son cheval, se débarrassa de ses somptueux vêtements et de tout son attirail princier qu'il remit à son écuyer en même temps que son cheval. Il coupa ses longs cheveux avec son épée, se vêtit d'une robe de moine mendiant, et garda seulement par devers lui un bol à aumône. Il fit ses adieux à son écuyer et disparut dans la forêt profonde.
Dès lors, le prince Siddhattha devint le moine des Sâkya, Sâkyamuni. C'était dans la région de Rajagaha que Sâkyamuni rencontra des maîtres célèbres comme Alârakâlâma et Uddaka Râmaputta. Mais il n'était pas convaincu de leur enseignement. Il se rendit alors à Uruvela où il s'exerça à pratiquer un ascétisme rigoureux, espérant par là découvrir la vérité. Six ans se sont ainsi passés, mais ce genre de vie n'eut pour résultat qu'un affaiblissement de son corps et de son esprit. Sa santé en fut compromise.
Alors, Sâkyamuni décida de renoncer à cette pratique si sévère. Il reprit une nourriture normale, accepta un bol de riz au lait que lui offra la bergère Sujata. Les cinq ascètes qui l'accompagnaient jusqu'ici, et qui pratiquaient avec lui le même ascétisme, désapprouvèrent son attitude et le quittèrent.
Continuant tout seul sa marche, Sâkyamuni arriva près de la rivière Neranjarâ (le moderne Phalgu) : il s'y baigna et à la sortie du bain, demanda à un homme qui ramassait les herbes sur la rive de lui donner de quoi se confectionner un coussin. Il se décida à s'asseoir à l'ombre d'un arbre Pipal ( appelé aujourd'hui Bodhi) avec la ferme détermination de ne pas quitter cette place tant qu'il n'aurait pas atteint l'éveil et la libération. Cette décision, une fois prise, il demeura ainsi pendant une semaine, absorbé dans une méditation profonde. Le septième jour, Sâkyamuni fit tous ses efforts pour éliminer de son esprit toutes les racines du mal : convoitise, haine, ignorance.
Il trouva alors la vérité par la découverte de la loi de la production conditionnée (paticcasamuppada), c'est - à - dire la corrélation, l'enchaînement cause et effet. Il fut totalement libéré du cycle des morts et des naissances (samsâra).
C'était une splendide nuit de pleine lune du quatrième mois Vesak. Alors, à 35 ans, Sâkyamuni devint le Gotama Bouddha ou Sâkyamuni Bouddha.
Après son éveil, animé par sa compassion pour les êtres humains, et convaincu que l'homme est capable de s'améliorer et de progresser vers la perfection, Bouddha se rendit à Saranath (Bénarès). Il y retrouva les cinq ascètes qui étaient autrefois avec lui à Uruvela. Il leur fit part de sa découverte : pour atteindre la vérité, il aurait fallu certes savoir rester dans le juste - milieu, mais également savoir s'écarter des deux extrêmes : se livrer aux débauchés et pratiquer la mortification. Il ne crut non plus à l'existence d'une âme immortelle qu'il jugea fausse.
Ainsi, sous la direction clairvoyante de Bouddha, ses disciples deviennent de plus en plus nombreux. Il encouragea chacun d'eux à propager son enseignement dans chaque région visitée. Il entreprit lui - même, en compagnie de ses disciples, des voyages à travers le pays, longeant le bassin du Gange, et enseignant à tous ceux qui veulent bien l'écouter, sans faire distinction de fortune ni de classe. Ceux qui sont capables de mener une vie monastique pour guider les autres quittent alors leur famille et entrent dans la Communauté des moines ou des religieuses (samgha). Ceux qui préfèrent pratiquer la loi tout en restant chez eux sont admis comme adeptes (upâsaka ou upâsika). En propageant ainsi sa doctrine, Bouddha rejette toutes les croyances aberrantes. Il condamne les mauvais us et coutumes (comme le massacre des animaux pour le culte). Durant 45 années, d'un village à l'autre, Bouddha déploie toute son énergie pour ramener l'homme à une véritable vie et lui faire prendre conscience de ses précieuses aptitudes lui permettant de s'orienter dans la voie du sublime éveil.
C'est sur le chemin de son enseignement que, dans la nuit de Vaisakha - Vesak, Bouddha s'arrêta pour se reposer dans la forêt de Kusinara, près du village de Kasia. Après une dernière prédication, par une nuit de pleine lune, il s'éteint et accède à la béatitude du Parinirvâna. Il avait alors 80 ans.
N'étant pas né Bouddha, le Bouddha est un homme comme parmi tant d'autres, mais il les surpasse par sa sagesse et par sa compassion sans limites. Il est un homme par excellence (acchariya manussa). Angoissé par la souffrance de l'humanité, il sacrifie son propre bonheur pour s'adonner à la recherche de la vérité. Il y parvint par ses seuls efforts personnels et devint ainsi un parfait éveillé et liberté symbolisé par un lotus :A travers ses qualités, ses contemporains lui attribuent les dix désignations suivantes : Le Bienheureux, Le Méritant, L'Eveillé parfait, Le Doué de sagesse et de vertu, Le Bien Vivant, Le Connaisseur des mondes, L'Incomparable, Le Guide des hommes indomptables, L'Instructeur des êtres célestes et des hommes, le Bouddha." Comme un lotus pur et admirable,
Non souillé par les eaux,
Je ne suis pas souillé par le monde,
C'est pourquoi, Brahmanes, je suis un éveillé. "
(An, II, 39)On le considère comme un grand médecin, puisqu'il a diagnostiqué les maladies de l'homme et trouvé les remèdes pour les guérir. Associé à tout cela, il y a également sa ferme volonté d'éveiller et de libérer ses semblables. En effet, l'expérience de Bouddha dans sa propre vie, et la mission dont il s'était fixé pour aider ces derniers a prouvé que l'homme malade, dominé par la convoitise (lobha) , la haine (dosa) et l'ignorance (moha) pourrait être guéri et acquérir la santé suprême (Nirvâna) .
Bouddha n'est plus de ce monde, l'importance pour nous bouddhistes, c'est de tirer profit de son enseignement et de son exemple. Il n'est guide spirituel, comme il le disait lui - même :
"Vous devez vous - même faire l'effort, les Bouddhas ne sont que des maîtres."
(Dhp, 276).Pour ceux qui aspirent à l'éveil et à la libération, son image est devenue ce symbole idéal.
B - LE BOUDDHISME Durant toute sa vie, Bouddha n'a produit aucune oeuvre littéraire. Il a seulement prêché sa doctrine. Ses disciples l'ont écouté, ont appris par coeur son enseignement, et l'ont transmis verbalement aux autres. Après le Parinirvâna (la mort d'un libéré parfait) , ses paroles furent d'abord gardées en mémoire par ses disciples, puis couchées par écrit au IIIème siècle environ après sa mort. Aujourd'hui, nous en avons 3 collections (tripitaka) en Pâli et en Sanscrit, et des traductions chinoises, tibétaines, japonaises, anglaises, etc. . .L'essentiel de l'enseignement de Bouddha contenu dans ces nombreux volumes peut se résumer aux points suivant :1 - Les doctrines fondamentales
a - La doctrine de la production conditionnée (paticcasamuppâda)Cette doctrine est très importante. C'est sa découverte qui a fait du Sage des Sâkya un Bouddha. Elle est complexe et difficile à pénétrer dit Bouddha lui - même.Cette stance peut être traduite de la façon suivante :" Quand ceci est, cela est.
Ceci apparaissant, cela apparaît.
Quand ceci n'est pas, cela n'est pas.
Ceci cessant, cela cesse. "
(Mn, III, 63)Par cette stance, Bouddha a exprimé la corrélation, l'interdépendance entre les conditions constituant la cause et l'effet, en même temps que l'insubstantialité et l'impermanence du monde conditionné.1 - Quand A est présent, B est présent.
2 - Quand A est absent, B est absent.
3 - Par suite de l'apparition de A, B appraît.
4 - Par suite de la cessation de A, B cesse.Cette stance signifie qu'un phénomène est à la fois conditionné et conditionnant (cause et effet), qu'une chose n'est isolée et que ce serait une opinion erronnée d'établir une distinction catégorique entre "cause" et "effet" puisque tout phénomène est à la fois cause et effet. En conséquence, la question de la première cause est considérée comme un faux problème. Selon Bouddha, il n'existe pas un commencement unique aux choses composées. Spéculer à perte de vue sur ce sujet est vain et peut entraîner des troubles mentaux. C'est à la lumière de la doctrine de la production conditionnée que Bouddha a analysé les phénomènes tant du point de vue physique que psychique. Il a tout spécialement utilisé cette doctrine pour expliquer les corrélations causatives du processus physico - psychique de la vie. Son explication vise à rejeter la croyance selon laquelle l'homme serait la création d'un tout puissant, posséderait une âme substantielle et permanente, et existerait par hasard. Etant pourvue de caractéristique non - déterministe dans l'ensemble, la doctrine de la production conditionnée se distingue des théories du déterminisme théiste ou naturel.
b - La doctrine de l'insubstantialité (anattâ)
La première doctrine constitue l'essentiel de l'enseignement de Bouddha. Elle affirme qu'il a nettement rejeté la croyance à une âme substantielle et indépendante.Cette deuxième doctrine analyse dans l'espace ce qu'on appelle conventionnellement "homme" ou "personne" sous ses différents aspects physico - psychique. En se basant sur les deux fondements de la personne, le nom et la forme (nâmarupa) , le nom désignant la vie psychique et la forme, le corps, Bouddha a abouti à divers systèmes d'analyses, dont le plus important est celui qui distingue en l'homme 5 agrégats (khandha) : l'agrégat de la matière (rupa), celui des sensations(vedâna) , celui de la perception (sannâ), celui des compositions psychiques (sankhâra) et celui de la conscience (vinnâna) . Tous les éléments physico - psychiques de l'homme se ramènent à ces 5 agrégats qui, associés les uns aux autres, forment des composés insubstantiels ; par conséquent, ils ne constituent pas le soi, c'est - à - dire une entité - égo - auto - indépendante. Autrement dit, il n'existe pas un penseur indépendant de la pensée ; la pensée est elle - même le penseur.
c - La doctrine de l'impermanence (anicca)
Quant à la doctrine de l'impermanence, elle a pour objet d'analyser les phénomènes dans le temps (toutes les choses composées sont impermanentes). Le monde est comme un torrent qui coule rapidement et qui change sans cesse. Il n'y a pas l'existence immobile; Il n'y a que du devenir (bhava). L'apparition, la disparition, et le changement, sont les trois caractéristiques des choses composées. Bouddha a illustré cette doctrine par des images populaires et poétiques :" En vérité, la vie des hommes est brève, limitée, éphémère, remplie d'afflictions et de tourments. Elle est comme une goutte de rosée qui disparaît aussitôt que le soleil se lève, comme une bulle, comme un sillon tracé sur l'eau, comme un torrent entraînant tout sur son passage et qui jamais ne s'arrête, comme du bétail pour la boucherie qui, à chaque instant, affronte la mort." (An, III, 70).
En ce qui concerne l'impermanence du psychisme, Bouddha a déclaré que l'esprit est plus éphémère que le corps. Comme toutes les choses composées sont impermanentes, non seulement la rivière dans laquelle se baigne l'homme, change sans cesse, mais l'homme lui - même change continuellement. Les éléments physico - psychiques qui le composent naissent et meurent, et se renouvellent perpétuellement à chaque instant de sa vie. Et la mort n'est qu'un changement apparent marquant un terme de vie.
Les éléments qui composent l'homme ne disparaissent pas totalement ; ils se transforment en une autre forme de vie, accompagnés de la soif d'existence (bhavatanhâ) est la plus importante. La loi de causalité joue sans interruption tout au long du processus de vie, si bien que l'existence postérieure n'étant ni identique, ni différente de l'existence antérieure, l'individu est toujours responsable de ses actes et héritier de leurs résultats.
S'appuyant sur les doctrines précédentes qui servent de base à tout son enseignement, l'attitude prise par Bouddha face à la vie s'exprime dans ce qu'il appelle les 4 nobles vérités, exposées lui - même de la façon suivante :" Un jour où Bouddha résidait dans la forêt Simsapâ, à kosambi, il prit quelques feuilles dans sa main et demanda ainsi à ses disciples :
- Que pensez - vous, moines : quelles sont les plus nombreuses? Ces quelques feuilles de Simsapâ dans ma main ou les feuilles qui sont dans la forêt ?
- Bienheureux, très peu sont les feuilles tenues dans votre main, et naturellement beaucoup plus nombreuses sont les feuilles de la forêt.
- De même , moines, nombreuses comme les feuilles de la forêt sont mes connaissances, mais je ne vous ai pas tout dit, et ce que je vous ai dit est comparable au peu de feuilles que je tiens dans ma main. Pourquoi je ne vous ai pas tout dit ? Parce que ces connaissances ne sont ni utiles, ni essentielles pour parvenir à une vie idéale ; elles ne conduisent pas à renoncer aux plaisirs, à la libération des passions, à la cessation de la souffrance, à la tranquilité, à la connaissance parfaite, à l'éveil , au Nirvâna. C'est pourquoi je ne vous ai pas communiqué toutes ces choses. Moines, qu'est - ce que je vous ai enseigné ? Je vous ai enseigné la souffrance (dukkha) , l'origine de la souffrance (nirodha) et la voie conduisant à sa suppression (magga) . Pourquoi ne vous ai - je enseigné que ces vérités ? Parce qu'elles sont vraiment utiles et essentielles pour parvenir à une vie idéale, parce qu'elles vous conduisent à renoncer au plaisir, à la libération des passions, à la suppression de la souffrance, à la tranquilité, à la connaissance parfaite, au Nirvâna." (Sn, V, 437).
La vie est pleine de souffrance, souffrance physique et morale, souffrance provenant de l'ignorance sur l'insubstantialité et sur l'impermanence du monde. Le mot souffrance correspond ici au mot pâli dukkha et désigne non seulement la souffrance physique et psychologique mais aussi la souffrance philosophique. La souffrance est partout, c'est un mal cosmique.Comme Bouddha a dit :
" Le monde entier est en flames, le monde entier est enveloppé de nuages de fumée, le monde entier est dévoré par le feu, le monde entier tremble." (Sn,I, 133).La souffrance comporte trois aspects :
- La souffrance du corps et du mental (dukkha - dukkha).
- La souffrance créée par des choses composées (sankhâra - dukkha).
- La souffrance créée par le changement (viparinamadukkha).Il n'est pas difficile de comprendre le premier aspect des souffrances car elle est plus évidente. Les deux autres aspects sont pourvus de significations spéciales en rapport avec l'enseignement de Bouddha comme la doctrine de l'insubstantialité et celle de l'impermanence. Parce que la vie est insubstantielle et impermanente que les sensations agréables créées dans des conditions heureuses ne durent jamais longtemps et contiennent le germe de la souffrance.
A ce propos, il faut noter que Bouddha n'a jamais nié le bonheur relatif dont l'homme peut se réjouir dans ce monde (Cf. An, I ,80). Néanmoins, étant réaliste, il a affirmé que la vie, sous tous ses aspects physiques, psychiques, sociaux, politiques, économiques, etc. . . se caractérise par la souffrance dont la couleur dominante est l'imperfection et l'insatisfaction.
Pour mieux illustrer le sens bouddhique du mot souffrance, nous allons vous raconter l'histoire suivante :
" Il y a un roi intelligent qui, dans les dernières années de son règne, voulait saisir le véritable sens de la vie. Il ordonna à ses savants de se rendre à l'étranger pour recueillir tous les événements importants qui s'y seraient passés ou qui s'y passeraient. Plusieurs groupes de savants s'expatrièrent et travaillèrent pendant des dizaines d'années à l'étranger. Sachant un jour que sa fin était proche, le roi fit rappeler ses savants à rejoindre le pays. Mais ceux - ci n'étaient plus aussi nombreux qu'au départ, car plusieurs étaient morts de maladies ou de vieillesse. En voyant tous les chariots de livres que lui rapportèrent ses sujets, le roi fit tout d'abord heureux ; puis il se mit à pleurer silencieusement à la pensée que le court laps de temps qui lui resterait à vivre ne lui permettrait jamais à les lire tous. Alors, pour satisfaire les désirs du roi, ceux - ci se réunirent avec les lettrés du pays pour résumer les idées fortes contenues dans les livres avec l'espoir que le roi pourrait saisir l'essentiel de tous les éléments qui s'étaient passés dans le monde avant sa mort. Après quelques années de travail, ils réussirent à les résumer en un seul volume, et le présentèrent au roi déjà très âgé. En regardant le sérieux travail fourni par ses savants, et très ému, il leur disait : "Comment pourrais - je avoir suffisamment de temps pour apprécier votre travail ?" Alors, une fois de plus, ces derniers s'empressèrent d'accéder au désir du roi en lui présentant un seul mot "souffrance" (dukkha) ce qui revenait à dire que la vie est insatisfaite, insubstantielle et impermanente . Le roi saisit le sens de ce mot avant de mourir."
b - L'origine de la souffrance (samudaya)
Comme toutes choses dans ce monde, la souffrance est une production conditionnée dont l'origine est dans l'homme lui - même. Ne négligeant pas le monde extérieur et son influence sur l'être humain, Bouddha voit à travers ce dernier le facteur essentiel d'une vie humaine heureuse ou malheureuse et considère que la cause principale de la souffrance est la soif (tanhâ) , le désir égoïste ayant sa source dans l'ignorance ou la connaissance aberrante et qui se manifeste dans les actes (karma) à travers les vies passées, présentes et futures sous 3 aspects :- La soif du plaisir (kâmatanhâ)
- La soif de l'existence (bhavatanhâ)
- La soif de destruction (vibhavatanhâ)Ce sont là les trois motivations qui causent les souffrances pour l'homme et pour les êtres vivants.
Tous les malheurs, les conflits, les malaises, l'agressivité, les exploitations... sont engendrés par cette soif donnant naissance à l'attachement. Tant qu'on s'attache aux objets plaisants, tant qu'on déteste les choses déplaisantes, on souffre car on ne peut trouver la satisfaction dans les choses insubstantielles et impermanentes. On pleure quand sa propre maison est en feu mais on ne pleure guère pour celle d'autrui. On se sent ainsi misérable parce que ces désirs insatiables ne vous laissent jamais en paix.
La soif ne se limite pas aux objets de plaisir, mais s'étend également à la puissance, à l'idéologie, à la croyance, etc. . . La guerre agressive notamment est la manifestation totale du processus des causes et des conséquences de cette soif. Il ne faut pas la considérer comme un principe abstrait, mais la reconnaître dans toutes les activités de l'homme et dans tous les domaines aussi bien individuels que collectifs. La soif produit toujours la souffrance, non seulement dans la vie présente mais aussi tout au long du cycle des naissances et des morts (samsâra) . C'est la force la plus vitalisante dans le processus de vie. Bref, la soif n'est pas la seule cause de la souffrance mais elle en est la plus puissante et la plus constante.
Il faut distinguer la soif (tanhâ) de la volonté ou aspiration spirituelle (chanda) . La première due à l'ignorance donne naissance à l'attachement, lequel engendre la souffrance et la crainte, tandis que la seconde, orientée par la sagesse, constitue un facteur indispensable pour atteindre le Nirvâna.
Parce que la souffrance et son origine constituent les deux premières des 4 nobles vérités, il ne faut pas déduire que le bouddhisme est pessimiste. Il n'est ni optimiste ni pessimiste. Bouddha a traité non seulement de la souffrance et de son origine, mais aussi de sa suppression et du chemin à suivre pour y parvenir.
c - La suppression de la souffrance (nirodha)
Bouddha a ouvert la porte du vrai bonheur à tous ceux et celles qui veulent l'obtenir : la suppression de la souffrance ; c'est - à - dire l'extinction de la soif, et par là même la suppression de tous les maux. Comme Bouddha l'a dit :"Séduit par la convoitise, frémissant de haine, aveuglé par l'égarement, accablé, l'esprit pris au piège de son désir égoïste, l'homme va à sa propre ruine et à celle d'autrui, et il éprouve peines et chagrins. Mais en renonçant à la convoitise, à la colère et à l'ignorance, c'est le contraire qui se produit : l'homme ne va ni à sa propre ruine, ni à celle d'autrui et il n'éprouve ni peines ni chagrins."
Ainsi, le Nirvâna peut - il être réalisé dès cette vie :
"Il est immédiat, engageant, attrayant et compréhensible pour l'intelligent." (An, III, 55)
Il est évident que le Nirvâna est difficile à réaliser parce qu'il est la vérité absolue et ne peut l'être que par expérience personnelle. Pour atteindre le Nirvâna, il faut remplir 2 conditions indispensables : la connaissance conforme à la réalité et la pratique de la voie. Il est impossible d'expliquer ce qu'est le Nirvâna, seuls ceux qui l'ont atteint le comprennent, comme seuls ceux qui ne sont plus malades peuvent apprécier le bonheur de posséder la santé.
Il est évident que celui qui ne peut déduire en lui la soif, ce désir égoïste tel qu'un homme aux prises avec un cauchemar, il restera toujours la proie à la souffrance et ne saura goûter la sérénité et la joie du Nirvâna. Rejeter ce qui dépasse nos expériences actuelles est toujours une attitude négative. C'est en adoptant plutôt une attitude positive que nous pourrions avancer dans la recherche spirituelle et acquérir un bonheur qui n'a rien à voir avec les plaisirs sensuels." La santé, c'est le Nirvâna,
Si vous pouvez connaître la santé
Vous pourriez réaliser ce que c'est le Nirvâna."
(Mn, I, 511)Ecoutez l'anecdote suivante, et vous pourrez facilement tirer les conclusions de cette fable : "Le poisson et la tortue".
"Autrefois, il y avait un poisson qui ne connaissait rien d'autre que l'eau dans laquelle il vivait. Un jour, en flânant dans son étang, il rencontra sa vieille amie - la tortue qui revenait d'une petite excursion sur la terre.
- Bonjour, mon amie, disait le poisson. Il y a bien longtemps que je ne vous ai pas vue. D'où venez - vous donc ?
- Oh, disait la tortue, je viens de faire une excursion sur la terre sèche.
- Sur la terre sèche ? Qu'est - ce que cela veut dire ? Je n'ai jamais vu de telle chose. Il existerait donc une terre sèche ? Je pense que ce que vous me dites n'est pas vrai.
- Tant pis, si vous ne voulez pas me croire, et personne ne peut vous y obliger. Mais ce qui est sûr, c'est que je reviens, juste, de la terre sèche.
- Oh, écoutez mon amie. Essayez de me dire clairement ce que vous avez vu au cours de votre excursion. À quoi ressemble cette terre. Est - elle humide ?
- Non, elle n'est pas humide.
- Alors, est - elle fraîche ou froide ?
- Elle n'est ni fraîche ni froide.
- Est - elle transparente pour laisser passer la lumière?
- Non, elle n'est pas transparente et la lumière ne peut la traverser.
- Est - elle fluide afin que je puisse y nager librement ?
- Non, elle n'est pas fluide et vous ne pouvez pas nager dans la terre.
- Est - ce qu'elle forme des courants ?
- Non, elle ne coule pas, et ne forme pas de courants.
- Est - ce qu'elle monte et forme des ondes blanches ?
- Non, la terre ne monte ni ne forme d'ondes blanches.
A ce moment, le poisson s'arrêta de questionner la tortue et rétorqua avec arrogance :
- Je vous avais bien dit que la terre n'existait pas. Lorsque je vous ai demandé à quoi ressemble la terre, vous n'avez pu me donner aucune explication valable. Donc, la terre n'existe pas. N'essayez plus de m'induire en erreur, mon amie.
- Bon, si vous pensez que la terre n'existe pas, vous avez vos raisons. Cependant si quelqu'un d'autre que moi arrivait, un jour, à vous faire admettre l'existence de la terre, alors vous vous rendriez compte, comme moi, que vous êtes un poisson sot."Il y a deux sortes de Nirvâna :
- Le Nirvâna avec reste : c'est celui d'un homme libéré ayant éliminé toutes les impuretés de son esprit, continue toujours à vivre en ce monde.
- Le Nirvâna sans reste : c'est celui atteint par un homme libéré à sa mort.
Cette distinction montre que le Nirvâna n'est pas atteint seulement après la mort, mais qu'on peut jouir de la béatitude du Nirvâna dans la vie présente. Le libéré qui atteint le Nirvâna à sa mort - on dit alors Parinirvâna - n'appartient à aucune catégorie d'êtres, c'est pourquoi sa béatitude est ineffable, profonde, sans mesure, insondable comme un grand océan.
Bien que le Nirvâna soit un, éternel, immuable, quiconque obtient la suppression, soit provisoire, soit définitive, d'une mauvaise passion, il obtient le Nirvâna y relatif. On peut donc dire qu'il y a là un Nirvâna partiel. (Cf. Nirvâna, par Louis de la Vallée Poussin, p.168).
Les degrés de la réalisation ou les quatre fruits qu'on réalise en éliminant graduellement les liens (samyojana) nous attachant à ce monde (à la roue de l'existence) sont les suivants :
- Celui qui gagne le courant (Sotaâpanna)
- Celui qui ne reviendra qu'une fois (Sakadâgâmin)
- Celui qui nereviendra plus (Anâgâmin)
- Le Libéré, le Méritant (Arahant).Bref, ce que nous affirmons à propos de cette noble vérité est que la suppression de la souffrance ou le Nirvâna est le bien suprême qu'on peut réaliser en ce monde, et dès maintenant.
d - La voie conduisant vers la suppression de la souffrance
Il n'y a qu'une seule voie qui conduit à la suppression de la souffrance, c'est - à - dire au Nirvâna : c'est celle qu'avait suivi Bouddha lui - même. On l'appelle généralement le noble sentier octuple, parce qu'il se compose de 8 parties :1 - Compréhension juste : La connaissance de la souffrance, la suppression de la souffrance, et enfin la voie conduisant vers sa suppression.
2 - Pensée juste : L'esprit du détachement, de la bienveillance et de la compassion.
3 - Parole juste : L'abstention de mentir, de tromper, d'user de paroles grossières, d'avoir des conversations futiles.
4 - Action juste : L'abstention de détruire la vie, de voler et d'avoir des relations sexuelles illégales.
5 - Moyens d'existence justes : Le mode de vie correcte et honnête.
6 - Effort juste : La volonté de faire des progrès dans la voie en éliminant tout le mal et en développant tout le bien.
7 - Attention juste : Connaissance de son corps, ses sensations, l'esprit et ses états mentaux après avoir écarté convoitise et vicissitudes mondaines.
8 - Concentration juste : Pénétrer dans les 4 méditations (jhâna) après avoir se débarrassé des choses sensuelles, des facteurs psychiques mauvais.De ces 8 parties, les deux premières concernent la sagesse, les trois suivantes se rapportent à l'éthique et les trois dernières, la concentration. Ces trois points constituent la totalité de la pratique du bouddhisme et il convient de les signaler dans l'ordre suivant :
1 - L'éthique (sîlâ)
2 - La concentration (samâdhi)
3 - La sagesse (pannâ)1 - L'éthique : préconisée par Bouddha n'est pas une moralité banale, un ensemble de commandements auxquels on obéirait passivement. Pour les bouddhistes, l'observation des codes disciplinaires fait appel à la volonté et à la responsabilité de l'individu. Elle demande un engagement libre. L'éthique bouddhique a en vue à la fois la réalisation du bonheur de la personne humaine et de l'harmonie sociale. En conséquence, cette éthique a pour fondement la bienveillance envers soi - même et la compassion envers les autres, y compris les animaux. Mais avec elle seule, on ne peut éliminer la soif ou les racines malsaines qui ont pris corps en nous au cours du temps pendant des âges et des âges. On doit pratiquer la concentration et développer la sagesse pour arriver à l'élimination des mauvaises racines, et à la suppression de la souffrance.
2 - La concentration ou méditation : Elle comporte des méthodes conduisant à la tranquillité et au développement mental. Grâce à elle, nous arriverons à fixer notre esprit sur tel ou tel sujet concernant la connaissance de soi - même, la maîtrise de soi - même, l'utilisation de la force spirituelle pour acquérir l'efficacité de nos facultés spirituelles. C'est un entraînement mental absolument nécessaire qui nous conduit à la suppression de la souffrance.
3 - La sagesse : C'est la compréhension de la réalité, c'est - à - dire la connaissance de ce qui existe comme existant et de ce qui n'existe pas comme non - existant. La sagesse est plutôt une compréhension directe des choses qu'une accumulation des connaissances, l'intuition de ce que sont les choses. Etant transcendante, la sagesse bouddhique s'acquérait par l'étude, l'exercice de la pensée et du sens analytique. Mais elle n'est pas seulement théorique, elle est encore pratique. Le sage, c'est celui qui sait, qui possède la connaissance, mais en même temps celui dont les nobles sentiments inspirent sa conduite personnelle, telle la bienveillance et la compassion envers les autres.
Parmi ces trois entraînements : l'éthique, la concentration et la sagesse, l'éthique est la précondition indispensable pour entrer dans la voie bouddhique. Mais pour atteindre la libération, il ne faut pas s'en tenir là, il faut pratiquer également les deux autres qui sont inséparables et essentiels.
"Il n'y a pas de concentration pour celui qui manque de sagesse, et pas de sagesse pour celui qui manque de concentration. Et celui qui possède à la fois concentration et sagesse est proche du Nirvâna." (Dhp, 372).
Ainsi, les trois entraînements (ou les huit parties de la voie) sont liés les uns aux autres. Chacun aide à développer les autres, c'est pourquoi il faut les pratiquer en même temps.
Le tableau ci - après résume la vérité sur la voie conduisant à la suppression de la souffrance :
Après avoir présenté les points essentiels du bouddhisme, nous voudrions préciser ce qu'est le bouddhisme. Certains chercheurs y verront une théorie de la connaissance, une logique, une épistémologie, une psychologie d'une très remarquable richesse descriptive. Certes, le bouddhisme englobe tout cela à la fois. En ce sens, il n'est pas faux de parler d'une philosophie, d'une religion bouddhique en tant que telle. Mais il faut noter que le bouddhisme est, d'abord et avant tout, la Voie du Juste - Milieu (Majjhimâ - patipadâ) conduisant à l'éveil et à la libération, c'est - à - dire le chemin qu'ont suivi les bouddhistes dans leur vie spirituelle.1 - Le bouddhisme en tant que Voie Juste - Milieu
Bouddha étant un homme doué d'un savoir profond et pourvu d'une conduite irréprochable, son enseignement reflète ce qu'il a vu et vécu.Pour mettre en garde ses disciples contre les querelles eu égard à sa doctrine, Bouddha leur a raconté une histoire relative à une querelle entre les philosophes et les brahmanes contemporains concernant la vérité. La voici :
"Il y avait un roi qui résidait dans la capitale de Sâvatthi. Il fit venir des aveugles, les mit devant un éléphant puis les informa de la présence de la bête. Ensuite, il demanda à ces derniers de toucher l'éléphant et de lui donner leurs opinions sur la bête : alors, celui qui toucha la tête déclara que l'éléphant ressemblait à un grand vase ; celui qui toucha l'oreille annonça qu'il était comme un éventail de paddy ; celui qui toucha les défenses prétendit qu'il était comparable à une charrue ; celui qui toucha le ventre dit qu'il était semblable à un grand panier de paddy, etc ... Puis tous les aveugles se disputèrent, chacun prétendit que son opinion personnelle sur la bête était correcte, et rejeta celles des autres. Le roi ayant assisté à cette confrontation éclatait d'abord de rire, il avait ensuite pitié de ces aveugles sots et orgueilleux."
Bouddha conclut alors que la querelle des philosophes et des brahmanes sur la vérité se ramenait à celle des aveugles à propos de l'éléphant. (Cf. Udâna, IV, 4)
Il est exact qu'il existe beaucoup d'écoles dans le bouddhisme, et cela pour deux raisons:
- D'une part, la tolérance est une caractéristique spécifique du bouddhisme
- D'autre part, Bouddha pense que si la vérité est une, les moyens d'y parvenir peuvent être multiformes.
En conséquence, prétendre monopoliser la vérité est considérée comme une maladie infantile par les bouddhistes. Même les paroles de Bouddha, si authentiques et si pures qu'elles soient, constituent des moyens d'approche de la vérité, mais la vérité en soi, la vérité absolue. Autrement dit, le bouddhisme est comparable au geste d'une personne qui veut montrer la lune en pointant son doigt vers elle : c'est la lune qu'il faut voir, et non le doigt lui - même qui constitue un obstacle vous empêchant de voir l'astre. Bouddha a demandé à ses disciples de considérer sa doctrine comme un radeau dont on se sert pour passer d'une rive à l'autre d'une rivière, mais que l'on abandonne après la traversée. Nous devons utiliser l'enseignement de Bouddha comme une méthode, une voie pour atteindre l'éveil et la libération. Après avoir atteint le but, nous devons l'abandonner comme Bouddha l'a dit lui - même :
"Vous devez abandonner les bonnes choses, et à plus forte raison, les mauvaises." (Mn, I, 134).
Théoriquement, le bouddhisme reste à l'écart de toutes les théories extrémistes, à savoir : théories affirmant l'existence et celles qui la nient, l'éternalisme et l'annihilisme, le déterminisme admettant que toutes les choses sont les résultats des actions accomplies dans les vies antérieures, et l'indéterminisme qui admet que les choses n'ont rien à voir avec ces causes, théorie selon laquelle nous sommes entièrement responsables de notre malheur, l'autre théorie qui soutenait que nous n'y avions aucune responsabilité.
Sur le plan pratique, le bouddhisme nous conseille de ne pas nous laisser entraînés dans les plaisirs des sens, mais aussi de ne pas nous adonner à des mortifications, car ces deux voies extrêmes ne font qu'aggraver la souffrance de ceux qui se livrent à ces différents actes. Le bouddhisme est la voie Juste - Milieu en tant que doctrine et en tant que pratique.
2 - Le bouddhisme comme philosophie pragmatique
La philosophie telle que comprennent les occidentaux est une conception des grecs. Cette tradition philosophique traite plus spécialement de la connaissance mais s'intéresse moins à la pratique, alors que le bouddhisme met son accent sur la pratique et la réalisation.Autrement dit, pour le bouddhisme, la théorie et la pratique sont inséparables. Ainsi le bouddhisme, tout en ressemblant à la philosophie sur le plan de l'amour de la sagesse et de sa recherche à guérir les malades de l'esprit et du corps de l'homme plutôt qu'à satisfaire l'étonnement. Bouddha n'a-t-il pas dit :
"O moines, n'ayez pas des pensées comme celles du profane : le monde est ou n'est pas éternel, il est ou n'est pas infini. Si vous y pensiez, dites : ceci est la souffrance, ceci est le remède qui vous permet de supprimer la souffrance." (Sn, VI, 448).
Pour les bouddhistes, le problème immédiat et urgent est la suppression de la souffrance et non les spéculations métaphysiques. Bouddha persuada Malunkyaputta de ne pas s'éterniser sur les questions inexpliquées et inexplicables, invérifiables et inutiles à savoir :
- L'univers est - il éternel ou
- Est - il non - éternel ?
- L'univers est - il fini ou
- Est - il infini ?
- L'âme est - elle la même chose que le corps ou
- L'âme et le corps sont deux choses différentes ?
- Le Tathâgata (le libéré) existe - il après la mort ou
- N'existe - il pas après la mort ou
- Existe - il et à la fois n'existe - il pas après la mort ou
- Est - il existant et à la fois non - existant après la mort ?A ce propos, Bouddha a raconté l'anecdote suivante :
" Un homme est grièvement blessé par une flèche empoisonnée. Ses amis et ses parents font venir un chirurgien pour le soigner. Mais le blessé déclare : Non, ne retirez pas la flèche et ne pansez pas ma blessure avant que je sache qui m'a tiré cette flèche. Quel est son nom ? Quelle est sa caste ? Où demeure - t - il ? Est - il grand ou petit ? Quel est son teint ? Quelle sorte d'arc a - t - il employée ? etc ... Je veux des réponses avant que vous ne commenciez à me soigner." (Mn, I, 426).
Il est sûr que cet homme mourra avant de recevoir des réponses à ses questions. Ce dont il a immédiatement besoin, ce n'est pas la réponse à ses questions mais les soins du chirurgien. Ainsi en est - il des besoins immédiats de l'homme : ne pas s'embarrasser de problèmes inutiles, mais suivre la voie conduisant à la suppression de la souffrance.
Les dernières paroles de Bouddha révèlent nettement cette tendance pragmatique:
" Toutes les choses conditionnées sont impermanentes. Travaillez à votre salut avec diligence." (Dn, II, 156)
3 - Le bouddhisme comme religion non - théiste
Pour les occidentaux, le mot "religion" représente une notion englobant à la fois l'adoration de Dieu, la révélation, la foi, etc. . . Le bouddhisme est au contraire une forme orientale de la spiritualité ; ce n'est pas une "religion" au sens occidental du terme. L'équivalence du mot "religion" dans les livres canoniques bouddhiques est "vie idéale" (brahmacariya) . Cette expression est employée dans un sens très large pour indiquer tous les modes de vie consacrés à un idéal quelconque. En ce sens, le bouddhisme est bien une religion, mais sans Dieu personnifié et considéré comme créateur, une religion sans révélation par un prophète d'inspiration divine. On peut affirmer que le bouddhisme est une religion non - théiste où le Bouddha, un éveillé, joue le rôle d'un instructeur méritant la vénération.La doctrine bouddhique n'est pas un dogme, mais la voie conduisant à la cessation de la souffrance. Les pratiquants de cette religion doivent être animés d'une aspiration ardente, d'une confiance sans borne dans la voie, mais ne doivent pas avoir une foi aveugle. Bouddha a toujours recommandé un esprit ouvert et libéral dans l'observation de la réalité. Il s'est opposé à la fois aveugle et à la dévotion superstitieuse. Il a demandé à ses auditeurs d'avoir l'esprit critique même envers son enseignement. Voici ses paroles en ce qui concerne les ouï - dire :
" Ecoutez, Kâlâma, ne soyez pas trompé par ce qui est en rapport avec la tradition ou les ouï - dire. Ne soyez pas trompé par la possession des recueils, ni par la simple logique et la déduction, ni après avoir considéré les raisons, ni après avoir réfléchi sur une opinion et l'avoir approuvée, ni parce qu'elle convient au devenir, ni parce qu'est l'opinion de l'ermite qui est votre maître. Mais lorsque vous savez par vous - même que ces choses ne sont pas favorables, ces choses sont condamnables par les gens intelligents, ces choses exécutées ou entreprises vous mènent à des pertes, à des douleurs, alors rejetez - les. . . Et lorsque, par vous - même, vous savez que certaines choses sont favorables et bonnes, alors acceptez - les et suivez - les. " (An, I, 189).
En bref, le bouddhisme ne peut être considéré comme religion que si ce qualificatif désigne une doctrine comportant des règles de conduite pleines de sagesses qui donne à l'homme la possibilité de se débarrasser des maux de la vie, et d'acquérir la connaissance conforme à la vérité.
C - LA RECHERCHE SPIRITUELLE DANS LE BOUDDHISME L'étude des religions orientales, et plus particulièrement celle du bouddhisme, présente des obstacles sérieux pour tous ceux qui ne les situent pas dans le contexte des sociétés ou des civilisations dans lesquelles elles se sont développées. Il n'est pas rare de trouver en Occident des études extrêmement brillantes sur le bouddhisme sous ses différents aspects. Mais il est plus fréquent encore d'en trouver qui présentent un tableau byzantin sinon scolastique, de la doctrine de Bouddha et qui laissent de côté ce que celle - ci contient d'expérience concrète et vivante. C'est du bouddhisme concret et vivant que nous voudrions vous entretenir ici. En vous exposant les points doctrinaux du bouddhisme, nous souhaitons ne pas être pour vous un guide de musée, qui montre et explique la beauté des choses anciennes, curieuses mais non profitables. Ce que nous voulons entreprendre, c'est exposer à nos auditeurs les principes de la sagesse bouddhique afin de contribuer à la recherche spirituelle de l'homme : faire connaître une méthode vivante, authentique et convenable capable de promouvoir le bonheur de l'humanité.Avant d'aborder cette étude, il est bon que nous prenons conscience de notre situation présente car il est utile de faire le point avant d'entreprendre une longue marche afin d'éviter de se lancer dans l'aventure.
1 - La nécessité spirituelle pour l'homme moderne en crise
Devant l'infinité de l'espace et du temps, l'homme est insignifiant ; néanmoins, Bouddha souligne son immense valeur parce que lui seul de tous les êtres, a la faculté d'acquérir l'éveil - parfait, et d'atteindre la libération totale qui l'élève à la dignité de "méritant" (Arahant) . C'est pourquoi, dit - il, il est si précieux de naître en tant qu'homme. De tous les êtres, l'homme seul est capable de développer cette potentialité d'éveil qui est en lui de par sa nature et qui fait sa grandeur. Si donc l'homme s'oriente dans une bonne direction, il mérite le bonheur. Malheureusement, l'homme est toujours en crise, toujours en péril. Evidemment, les récentes découvertes de la science lui ont procuré beaucoup d'avantages. Bien sûr, la science et la technique ont progressé d'une façon extraordinaire à notre époque. Elles nous permettent d'aller sur la Lune, Mars ou Vénus. Elles rendent possible les greffes d'organes. Néanmoins, les immenses progrès techniques accomplis depuis une centaine d'années débouchent sur de grands périls, savoir :- Le surpeuplement inhumain qui crée l'entassement de nombreuses personnes dans un espace restreint et engendre l'agressivité et la violence.
- L'individu s'intéresse de moins en moins à son travail, qu'il exerce de façon plus ou moins mécanique ; il oublie sa grandeur et cherche l'ivresse sous toutes ses formes : alcoolisme, drogue, pornographie, etc ... La méfiance, la suspicion, la haine, la crainte, etc... augmentent, en même temps que disparaissent tous les sentiments élevés.
- La masse ne choisit plus, elle accepte aveuglement tout ce qui permet d'oublier qu'elle est humaine. Elle ne sait plus distinguer le bien du mal, et c'est la publicité qui détermine la valeur de toutes choses. La soif des plaisirs sensuels, se manifestant librement dans la société de consommation, entretenue par une publicité alléchante, engend l'incapacité d'affronter la vie. Partout, dans les pays riches, on retrouve le matérialisme, la commercialisation, l'hypocrisie, la violence, les crimes, les maladies mentales, etc. . .
- La guerre pour laquelle on consacre de 30 à 70% du budget des nations, les armes nucléaires, chimiques et bactériologiques, etc., aggravent davantage la situation conflictuelle du monde et menacent en permanence l'humanité. Le monde semble être en proie à une folie collective.
Ajoutons à cela, la mauvaise exploitation des progrès matériels et techniques a créé une possibilité de destruction terrible qui menace non seulement la vie des êtres mais également leur environnement. La détérioration par la pollution sous toutes ses formes, depuis celle des légumes jusqu'à l'air des grandes villes est un véritable problème à résoudre. Ainsi, même la mauvaise exploitation des progrès de la science peut être nuisible à l'homme et donner naissance à des crises dans tous les domaines.
Etant témoins de ces dangers, nous pouvons imaginer sans difficultés ce qui arrivera dans l'avenir quand les sciences et leurs applications techniques seront encore plus avancées. On peut illustrer le danger de la non - maîtrise de l'homme vis - à - vis du progrès de la science et de la technique, notamment la biotechnologie par l'anecdote suivante :
" Un cheval monté par un homme soucieux galope à une allure inquiétante. Un passant, surpris par la scène, arrête le cheval et demande à l'homme :
- Où allez - vous si vite ?
- Moi, je ne sais pas, demandez au cheval. "Alors que la mauvaise exploitation de la technique détruit le bonheur de l'homme, toutes les valeurs spirituelles du passé sont remises en cause, jugées et condamnées. Particulièrement, les religions sont considérées comme des forces conservatrices, des obstacles au développement de l'humanité. Tout le monde constate que l'efficacité des religions se réduit chaque jour, surtout dans les milieux jeunes. Très peu de gens s'intéressent à la recherche spirituelle. Presque tous les centres religieux sont devenus des monuments historiques, les monastères désertés.
Objectivement, l'origine de cet état de choses n'est dûe ni à la faute de la religion, ni à celle de la technologie, mais plutôt à celle des hommes. C'est lui - même qui s'attache aux superstitions et considère les principes doctrinaux des religions comme une vérité en soi alors que celles - ci sont des expériences spirituelles qu'on doit utiliser avec intelligence et liberté. C'est l'homme qui exploite égoïstement la technique et qui y voit le générateur du bonheur alors que ce n'est pas là son objectif. Elle n'est qu'un moyen éventuel pour améliorer la qualité de la vie.
L'origine de toutes ces crises est en nous - mêmes : la fausse sagesse, l'exploitation égoïste, l'agressivité barbare, qui détruisent le bonheur de l'humanité. De plus, depuis longtemps, on croit que le chemin le plus sûr menant au bonheur réside dans la satisfaction de la "soif" alors que celle - ci ne dure pas, qui s'émousse vite et nous lasse. En outre, ce faisant, nous devenons les esclaves de nos convoitises, haines, ignorances, et nous perdons ainsi notre liberté, tombons dans le trouble, la peur et parfois même la terreur. On parle beaucoup de la pollution matérielle mais on oublie la pollution mentale qui est bien plus dangereuse. C'est surtout l'ignorance, la convoitise, et la haine qui créent tous les conflits tant individuels que nationaux et internationaux. Tant que l'homme se laisserait guider par toutes ces racines du mal, il ne pourra pas trouver de solution aux crises actuelles.
Certainement, des solutions politiques, économiques, sociales, etc. . . peuvent palier à ces crises, mais ce ne sont pas là des solutions véritablement efficaces et totales. L'homme et la société dans laquelle il vit sont inséparables, et il ne saurait vivre seul. Mais si l'homme subit l'influence de la société, c'est aussi lui - même qui crée la société. C'est pourquoi, il ne suffit pas d'améliorer les conditions de vie, mais il faut également améliorer l'homme. Négliger la guérison des maladies humaines, tant corporelles que mentales est une erreur impardonnable, car"l'homme ", déclare Bouddha, " est sujet aux maladies corporelles et mentales. Les maladies corporelles ne le frappent que de temps à autre, mais il ne peut prétendre, ne fût - ce qu'une seconde, d'une parfaite santé mentales s'il n'a pas réalisé son salut." (An, II, 143).
En démontrant les défauts de l'application de la science et de la technique, nous ne voulions pas nous y opposer catégoriquement ; nous ne les rejetons pas comme irrémédiablement mauvaises. Nous voulions plutôt montrer combien elles avaient à être complétées, dirigées afin d'améliorer la condition de la vie spirituelle de l'homme et par là même de supprimer la souffrance. La méthode, la voie qui peuvent l'orienter l'une et l'autre vers cette bonne direction, c'est la méthode pour l'éveil et la libération, la voie bouddhique.
En montrant la dégénérescence des forces spirituelles, nous ne ridiculisons pas les religions, mais nous souhaitons qu'on revienne aux expériences spirituelles des sages. En les adaptant aux besoins de l'homme moderne, elles ne seront pas en contradiction avec la science mais peuvent aider au contraire l'homme d'aujourd'hui à résoudre les problèmes de notre temps. C'est pourquoi nous soulignons l'importance de la méthode qui conduit à l'éveil, à la libération. L'homme ne saura vivre sans norme ni valeurs, et c'est le bouddhisme qui l'aidera à avoir des normes justes et des valeurs morales utiles. Autrement dit, ce que Erich Fromm appelle "Frames of orientation and dévotion" est un besoin pour ceux qui cherchent sincèrement un guide spirituel pour les initier dans cette voie et les encourager à s'y engager :
2 - Une voie ancienne et nouvelle" Comment peut - on rire et être joyeux,
Lorsque le monde est en train de prendre feu ?
Enveloppés par les ténèbres, pourquoi
Ne cherchez - vous pas la lumière ? "
(Dhn, 146).Il est évident que l'homme moderne a besoin d'une voie juste l'amenant vers le bonheur. En tant que bouddhiste, nous voudrions vous informer que le bouddhisme est un message apte à remédier à la crise actuelle. C'est un message valable pour tous les temps et tous les lieux. Un doute peut naître de cette affirmation, et vous pourriez vous demander comment une voie préconisée il y a 2500 ans peut encore se prévaloir pour notre monde moderne ? Qu'importe son ancienneté, si elle est efficace. Beaucoup de remèdes conservent leur pouvoir curatif malgré l'ancienneté de leur découverte, car la valeur d'un médicament se mesure à son efficacité et non au temps qui nous sépare de celui de sa découverte. Nous vous avons exposé une voie ancienne dans laquelle vous pouvez vous engager si vous le désirez avec votre énergie. Nous vous souhaitons de le faire, car la valeur d'une voie ne dépend pas de son ancienneté ou de sa nouveauté, mais plutôt de son aptitude à nous mener là où nous désirerons arriver. La méthode conduisant à l'éveil et à la libération transmise par Bouddha à ses disciples et qui, depuis 25 siècles, a aidé les hommes, confirme que le bouddhisme est capable de répondre aux problèmes fondamentaux de l'homme.L'homme d'autrefois et l'homme d'aujourd'hui ne vivent pas dans les mêmes conditions historiques mais leur nature propre demeure toujours la même. Ils ont tous les deux à affronter le même problème philosophique de la souffrance et de leur quête d'un remède spirituel est le même.
Les doctrines essentielles de la méthode pour l'éveil sont conformes à la réalité. Elles ne sont pas en contradiction avec les découvertes de la science moderne. Les doctrines fondamentales du bouddhisme : La production conditionnée (paticcasamupâda) , l'insubstantialité (anattâ), et l'impermanence (anicca) peuvent servir de base pour mieux connaître et comprendre l'homme et l'univers.
Bien entendu, il y a quelques enseignements de détail figurant dans les livres bouddhiques qui ne sont pas identiques aux affirmations scientifiques de notre époque, par exemple les notions de cosmologie, les idées sur les structures de la matière, la psychotechnique pour le bien être, etc. . . Cela tient du degré de connaissance à l'époque où vécu Bouddha. Les sciences de la nature ont évolué depuis 25 siècles et elles évolueront encore dans les temps à venir. Ce que nous considérons comme vrai aujourd'hui ne le sera plus demain. Les connaissances évoluent sans cesse, et il ne faut pas limiter la science aux découvertes présentes. Nous répétons encore une fois que le bouddhisme réside essentiellement dans les doctrines fondamentales et non dans des enseignements secondaires. C'est grâce à elles que Bouddha, par sa sagesse transcendante, a fait connaître la voie qui mène à la suppression de la souffrance. Cette voie ou méthode est la caractéristique unique du bouddhisme. A ce sujet, Bouddha s'exprime ainsi :
" De même que l'océan, moines, n'est imprégnée que d'une seule saveur, celle du sel, de même aussi, moines, cette doctrine et cet ordre ne sont imprégnés que d'une seule saveur, celle de la délivrance. "
(Cullavagga, IX, I, 4).Fondamentalement, Bouddha a affirmé que l'homme, pourvu par la nature de volonté et de liberté, peut et doit se libérer s'il le veut, de toutes les contraintes faisant obstacle à la réalisation d'une vie idéale, contraintes ou entraves psychologiques venues de lui - même, des autres et de la nature. Le bouddhisme considère la perfection humaine ou le fait de devenir un libéré (arahant) comme une chose bonne en soi et même la seule chose bonne. Par la purification de l'esprit qui freine et élimine la convoitise, la haine et l'ignorance, accompagnée d'une compassion sans cesse grandissante envers ses semblables, l'homme peut arriver à devenir un libéré ou un saint comme nous l'avions dit plus haut.
La voie bouddhique est à la fois une science et un art. En tant que science, elle enseigne les lois qui régissent l'homme et la nature et fait de l'homme un éveillé, et en tant qu'art, elle donne les règles d'un comportement sain et profitable pour obtenir la béatitude dans la vie présente et dans la vie future.
Il est difficile de distinguer la méthode d'éveil et celle de la libération. On applique de concert les deux et l'on ne peut concevoir l'une sans l'autre. Il en faut deux pour parvenir au but recherché, au bien suprême. On pourrait même dire qu'au fond, elles constituent la même méthode, l'unique voie pour atteindre le Nirvâna. Il faut voir pour bien agir, et bien agir pour mieux voir.
En définitive, le bouddhisme est une voie qui procure espoir et joie, même aux êtres les plus malheureux. Elle offre aux hommes modernes une orientation en même temps une solution pour sortir des crises actuelles par la purification des pensées, des paroles et des activités. Elle ne requiert ni la foi aveugle, ni les prières, ni les cérémonies. Elle éclaire, elle fait comprendre, c'est donc une méthode scientifique. Elle ne demande pas à ses adeptes de croire, mais de voir. La méthode bouddhique peut conduire l'humanité à la nouvelle révolution que l'on souhaite apparaître dans un proche futur, quelle que soit sa dénomination. Cette révolution aura son origine, dans l'individu et dans la culture. Elle vise à changer la structure politique et sociale, mais seulement dans la bienveillance. Elle n'exige aucune violence pour réussir et ne peut pas être rejetée par la violence. Ceci est donc la révolution de la bienveillance pour le bien être matériel et spirituel de l'humanité. Elle engendre un raisonnement plus élevé, une compassion illimitée, une communauté plus humaine et un individu éveillé et libéré. Sa création ultime sera la totalité et la beauté nouvelle et durable, une relation renouvelée de l'homme envers lui - même, envers les autres, envers la société et envers le monde.
3 - L'attitude nécessaire à celui qui recherche la spiritualité dans le bouddhisme
Une fois bien compris, la nécessité d'une recherche spirituelle en optant pour guide le bouddhisme, que doit faire alors celui qui veut entrer dans la voie ? Quelle doit être son attitude d'esprit ?Premièrement, il faut que l'aspirant s'engage dans cette voie sans esprit préconçu, au moins temporairement, vide de préjugés philosophiques, religieux, d'ismes de toutes sortes. Et qu'il le fasse avec courage, sinon, il ne pourra comprendre le bouddhisme tel qu'il est.
" Un jour, Nan - In, un maître zen japonais, sous la dynastie Meiji (1868 - 1912) recut la visite d'un professeur de philosophie qui désirait connaître la voie du zen, mais qui n'aimait pas écouter son interlocuteur. Il rejetait un à un tous les enseignements du maître zen. Pour mettre fin à ce déluge d'objections et de critiques, ce dernier invita son vis - à - vis à prendre le thé. Il servit son hôte, mais malicieusement, quand sa tasse fut pleine, il continua toujours à verser du thé jusqu'à ce que le liquide débordant la tasse se répandit aux alentours. Alors le professeur gronda :
- Mais que faites - vous là ? C'est déjà plein, la tasse ne peut plus rien contenir.
Alors, lentement, le maître zen lui répondit :
- Comme cette tasse de thé, l'esprit de monsieur le professeur est déjà plein d'opinions, de théories, d'ismes préconçus. Comment pourrais - je lui transmettre la voie du zen ? Je ne peux le faire que si monsieur le professeur daigne vider tout le thé de sa tasse. "Ensuite, l'aspirant doit pratiquer la voie, le bouddhisme n'étant pas un système de pensée. C'est pourquoi on ne peut y accéder par la seule connaissance sans la pratique, car la connaissance n'est pas pénétrante. Pour profiter des expériences spirituelles de Bouddha, il faut les vivre, les pratiquer, les faire siennes, car le bouddhisme est un art de vivre.
La méthode bouddhique s'adressant à tous ceux qui aspirent à une vie spirituelle profonde recherchant le vrai bonheur. Une fois que les aspirants ont reçu l'initiation ou la transmission, ils doivent s'instruire délibérément auprès d'un guide. Comme la méthode bouddhique est conforme aux lois de la réalité, il suffit que les pratiquants observent la réalité et s'identifient même avec elle, dans toute sa lumière. Autrement dit, toutes les activités des pratiquants doivent être réglées avec intelligence et créativité dans la direction de l'éveil et de la libération. Une fois la méthode bien assimilée en quelque sorte faisant corps avec leur vie, les pratiquants peuvent alors s'en détacher. Devenus des éveillés, ils s'identifient avec la méthode et ne font qu'un avec elle. Ils la pratiquent naturellement libérés de toute contrainte. A ce moment - là, ils peuvent oublier le bouddhisme et même Bouddha.
Une dernière histoire nous paraît nécessaire pour illustrer la réalisation totale de la voie:
" Il était une fois dans un monastère bouddhique, un novice qui, ayant fait connaissance d'un maître qui était en même temps un peintre célèbre, le pria de lui apprendre à dessiner. Le maître lui dit de choisir un objet à peindre. Le novice choisit comme modèle des tiges de bambou, et demanda au maître de lui enseigner la méthode. Le maître dit : "Ne les peignez pas maintenant, mais observez - les encore pendant quelque temps." Le novice lui obéit. Jour après jour, il contemplait les bambous qui se trouvaient devant la fenêtre de sa chambre. Et chaque fois qu'il priait son maître de lui communiquer la méthode, celui - ci lui répondit toujours de la même façon, et le novice continua à contempler les bambous sous leurs divers aspects. Il les contemplait quand ils étaient encore des pousses, quand ils avaient très peu de feuilles, quand ils grandissent en été, en hiver, dans la brume argentée remplie par le chant des oiseaux. Le maître, s'apercevant que son élève s'appliquait toujours à suivre ses conseils, il le fit venir sept années après, et lui dit : " Maintenant, prenez la plume, l'encre, et dessinez les bambous." Le novice suivit le conseil du maître et le résultat fut une transposition excellente des bambous. . . Aucun peintre de bambous ne peut se mesurer à lui. Depuis cette époque, le novice de ce monastère est un peintre célèbre très connu dans le pays."
Nous vous souhaitons à tous, nobles Amis, le succès dans votre recherche spirituelle. Et puisiez - vous devenir des peintres de bambous célèbres.
Conférence faite :
- Au Centre culturel San Fidelle, Milan (Italie) 20 - 3 - 1974- A l'école Polytechnique à Palaiseau (France) 27 - 1 - 1988 Thích Thiên Châu
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