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- Corinne Sergers - |
Tout d’abord, je voudrais situer le Vajrayana (Kim Cuong Thua) par rapport au Bouddhisme en général. On peut subdiviser le Bouddhisme de différentes manières et chaque école a sa propre optique à ce sujet. Si l’on parle de 2 véhicules (yana – thùa), c-à-d le Hinayana (Tiêu Thua) et le Mahayana (Dai Thua), alors le Vajrayana peut être considéré comme une extension naturelle du Mahayana dont il fait partie. Si l’on considère les 3 Mises en Mouvement de la Roue du Dharma (3 lân chuyên Phap Luân), le Vajrayana fait alors partie de la troisième. Du point de vue du Vajrayana lui-même, il se considère comme étant le 3ème véhicule, mais il subdivise aussi souvent les écoles bouddhiques en 9 véhicules. Dans ce cas, voici la manière dont il présente le Bouddhisme dans son ensemble (voir schéma document en annexe). |
Le Vajrayana ne considère pas les
trois véhicules comme des véhicules distincts, qui existeraient en parallèle,
mais comme des éléments s’emboîtant l’un dans l’autre, un peu
comme des poupées russes. Le Hinayana est inclus dans la Mahayana qui
est lui-même inclus dans le Vajrayana. Ce qui veut dire que le Vajrayana
ne rejette aucun des enseignements des deux autres véhicules et qu’il
les considère comme sa base, son fondement même. Ainsi, il affirme que
sans une compréhension des 4 Nobles Vérités (Tu diêu dê), de
l’impermanence (vô thuong) et du non-soi (vô nga) qui
constituent les doctrines de base du Hinayana, on ne peut ni comprendre
ni pratiquer le Mahayana et encore moins le Vajrayana. Sans compréhension
de la vacuité de tous les phénomènes et sans avoir développé la compassion
universelle qui caractérise l’idéal du Bodhisattva
(Bô Tat), il est impossible de pratiquer le Vajrayana (citation) (1). Nous verrons plus loin que le Vajrayana réunit en une seule pratique les enseignements des trois véhicules. |
Quand on parle des origines et de l’histoire du Bouddhisme, vous n’ignorez sans doute pas qu’il existe souvent une différence entre le point de vue de la tradition – qui reflète une perception religieuse et mystique des choses - et le point de vue des historiens, qui s’attachent aux faits vérifiables. Ainsi, d’après la tradition du Mahayana, c’est le Bouddha lui-même qui a enseigné les soutras de la Paramita à Rajagrha, au pic des vautours. Selon les historiens, ces soutras datent des premiers siècles de notre ère. Il en va de même du Vajrayana dont la tradition fait remonter la transmission des enseignements au Bouddha Shakyamuni ou à d’autres Bouddhas comme Samantabhadra (Phô Hiên Bô Tat) ou Vajradhara (Kim Cuong Thân) qui l’aurait transmis à des Vidyadharas (" détenteurs de la connaissance ") qui amorcent la transmission " humaine " de cette lignée d’enseignements. D’après les historiens, le Vajrayana serait apparu en Inde vers le 6ème siècle de notre ère. Il était pratiqué par des Mahasiddhas (grands accomplis dai thành tuu ?) qui ne l’enseignaient qu’à un petit nombre de disciples sélectionnés. La pratique était gardée secrète. Petit à petit, le Vajrayana s’est développé, surtout dans le Nord de l’Inde, au Cachemire et en Oddiyana (actuel Pakistan/Afghanistan) et il finit même par être enseigné dans de prestigieuses universités bouddhiques comme Nalanda ou Vikramashila – en perdant sans doute dans ce cas une partie de son côté pratique en faveur d’une approche plus scolastique ou érudite. Il fut introduit au 8ème siècle en Indonésie et n’y disparut qu’au 15ème siècle, lors de l’invasion musulmane. C’est sous son influence que fut construit le gigantesque temple-mandala de Borobudur. Il fut florissant au 11ème siècle en Birmanie et au Cambodge, avant de laisser la place au Theravada. Il influença également le Bouddhisme vietnamien de l’époque des dynasties Ly et Tran (voir à ce sujet " Viet Nam Phat Giao Su Luân, Nguyên Lang, Ed. La Bôi - Influence sous la dynastie Ly : école de Ty Ni Da Luu Chi (pp. 119 et 128-139), école Vô Ngôn Thông (pp. 181-184) ; Influence sous la dynastie Tran (pp. 402, 403 et 409-412) Il pénétra en Chine au 7ème siècle où il donna naissance à l’école Zhenyan (" Chân Ngôn ") qui disparut en Chine mais qui fut introduite par Kukai (Kobo Daishi) au Japon où elle devint l’école Shingon (même signification), fondée en 806. Des éléments ésotériques influencèrent aussi fortement l’école Tendai au Japon. |
Au Tibet, le Vajrayana fut introduit à la fin du 8ème siècle (774) par le maître indien Padmasambhava (Liên Hoa sinh), qui avait été invité par le roi Trisong Detsen (742-797). Padmasambhava, appelé Guru Rinpoché ou " Précieux Maître " par les Tibétains, aida à la construction de Samyé, le premier monastère, dont la disposition architecturale représente le mandala de l’univers. Les enseignements de Padmasambhava et les tantras qu’il a transmis sont à l’origine de l’école Nyingma du Bouddhisme tibétain. Padmasambhava ne resta que peut de temps au Tibet, mais il n’était pas seul. Il y eut à cette époque une intense activité de traduction des textes et presque tout le Canon bouddhique (Sutras, Shastras, Vinaya et Abhidharma - Tam tang : kinh, luât, luân) fut traduit en tibétain par une équipe de traducteur groupés autour de l’érudit indien Pagor Vairocana. Quelques générations plus tard, le roi Langdarma voulut rétablir la religion traditionnelle Bön et procéda à une destruction en règle de tout ce qui était bouddhique dans le pays. Il fit persécuter et assassiner les moines, brûler les textes et raser les monastères (840-842). Ces persécutions, qui faillirent éradiquer le Bouddhisme du Tibet, marquent la séparation entre l’école ancienne (Nyingma qui signifie " ancien ") et les écoles dites " sarma " ou nouvelles. Au 10ème siècle, le grand maître indien Atisha Dipankara, qui était aussi l’abbé de l’université de Vikramashila, accepta l’invitation du roi tibétain Yeshé Ö (qui laissa sa vie dans l’entreprise !) et du grand traducteur tibétain Rinchen Zangpo (958 – 1055). Il se rendit au Tibet en 1042, alors qu’il était déjà âgé, et son influence fut prépondérante pour y rétablir le Dharma. Ses enseignements donnèrent naissance à l’école Kadam (plus tard réformée par Tsong Khapa, elle deviendra l’école Geloug. Les Gelougs.sont parfois appelés les " nouveaux kadampas ") Au même moment, le maître et traducteur tibétain Marpa Lotsawa (1012 – 1097) se rendit plusieurs fois en Inde et les enseignements qu’il y reçut et qu’il transmit à son disciple tibétain Milarépa sont à l’origine de l’école Kagyu. Enfin, toujours à la même époque, le maître tibétain Dromi Sakya Yeshé (992 - ?) se rendit également en Inde et les enseignements qu’il en ramena sont à l’origine de l’école Sakya, fondée par son disciple Khön Könchog Gyalpo. |
Il y a actuellement dans le Bouddhisme tibétain quatre grandes écoles (tông phai) : Nyingma (phai cô),
Il y en avait autrefois davantage, et on parle notamment des 8 Lignées de pratique (2), mais beaucoup de ces lignées se sont perdues ou ont été incorporées au sein des écoles principales. Ce qui distingue ces écoles, ce sont d’une part leur lignée de transmission, c.à.d. qu’elle remontent à des patriarches différents (tô su), et d’autre part l’accent que chacune met plus particulièrement sur tel ou tel aspect de la pratique, tel ou tel tantra (*) ou telle ou telle divinité de méditation (ou Yidam). Ainsi, l’école Geloug met davantage l’accent sur la discipline monastique et les études scolastiques (et pratique principalement les tantras de Vajrabhairava et Guhyasamaja). L’école Sakya pratique principalement le tantra d’Hevajra. L’école Kagyu pratique surtout les tantras de Chakrasamvara et VajraYogini. L’école Nyingma centre sa pratique sur les 18 tantras du Mahayoga dont le Guhyagarbhatantra. Enfin, les écoles Nyingma et Kagyu favorisent davantage la pratique méditative plutôt que l’érudition – tout en ne négligeant pas pour autant les études. Il n’y a pas entre ces différentes écoles de divergences majeures sur des points de la doctrine et les dissensions qui les ont parfois opposées dans le courant de l’histoire étaient plus liées à des considérations d’ordre politique et matériel qu’à des questions religieuses. Ainsi, les enseignements les plus élevés de chacune de ces écoles sont essentiellement identiques, qu’il s’agisse du " Grand Madhyamika " (U-ma, Dai Trung Dao)des Gelugpas, du " Lamdré " (con duong và kêt qua)des Sakyapas, du Chaja Chenpo (ou Mahamudra - Dai thu ân).des Kagyupas ou du Dzogchen (ou Maha ati - Dai thanh tuu) des Nyingmapas. Un dicton ne dit-il pas : " Si deux philosophes se rencontrent et parviennent à se mettre d’accord, c’est que l’un d’eux n’est pas un philosophe. Si deux Saints se rencontrent et ne sont pas d’accord, c’est que l’un d’eux n’est pas un Saint. " La vérité ultime ne peut qu’être Une, quelle que soit la voie par laquelle on l’atteint. Une polémique fit ainsi " rage " pendant 7 ans à Nalanda dans la première moitié du 7ème siècle entre Chandragomin et Chandrakirti (Nguyêt Xung), qui étaient tous les deux d’éminents érudits et de grands saints. Ils étaient tout à fait d’accord sur la nature de la réalité ultime, la seule chose qui les opposait, c’était comment la FORMULER. |
Comme nous l’avons vu, le Vajrayana s’appuie sur les enseignements du Hinayana et du Mahayana, mais qu’est-ce qui le distingue de ces deux véhicules, quels sont ses caractéristiques ? On enseigne qu’il y a quatre différences principales :
Le but d’un pratiquant du Vajrayana est identique à celui d’un pratiquant des deux autres véhicules : réaliser l’éveil. Mais il est dit qu’on mettra un nombre incalculable d’ères cosmiques (kalpa – atang kiêp) pour atteindre l’état de bouddha en suivant la voie des Auditeurs. Il est dit aussi qu’il faudra un nombre infini de vies pour atteindre l’état de Bouddha par la voie des Bodhisattvas, alors qu’il suffirait de 16 ou 18 vies par la voie des tantras extérieurs et qu’un disciple qualifié peut même réaliser l’éveil en quelques années, si pas en une seule vie, par une pratique assidue et intensive des tantras intérieurs. Le Bouddhisme distingue 9 types de capacités chez les individus (inférieures, moyennes et supérieures, avec dans chaque catégorie une nouvelle distinction entre inférieur, moyen et supérieur – 3x3 = 9), d’où la distinction de 9 yanas, chaque yana étant adapté aux dispositions particulières de chaque type de personnalité. Il est dit que seuls les individus de capacité supérieure ayant parfaitement maîtrisé les enseignements et la réalisation des autres véhicules peuvent avoir accès aux tantras. Ainsi ils ne faut pas croire que tous les bouddhistes tibétains sont des adeptes tantriques, ni même que tous les lamas connaissent à fond les tantras. Chacun pratique selon ses affinités et ses capacités et seule une minorité s’engage réellement sur la voie de la pratique tantrique. Le Vajrayana est parfois appelé le Véhicule du Fruit ou Véhicule du Résultat alors que le Hinayana et le Mahayana sont appelés Véhicules des Causes ou Véhicules des Perfections. Dans le Hinayana et le Mahayana, on détermine quelles sont les causes qui conduisent à la bouddhéité – c’est à dire éliminer tout ce qui est négatif et faire croître tout ce qui est positif par le biais des deux accumulations (mérite par la pratique des 6 paramitas et sagesse par la méditation) – et la voie consiste à développer ces causes, à se perfectionner toujours davantage, pour atteindre le fruit. Le Vajrayana quant à lui utilise le fruit lui-même comme voie. Cela signifie que dès le départ, on pratique au niveau de l’Eveil. On s’exerce à percevoir son environnement, les autres êtres et soi-même comme parfaitement purs, comme étant déjà des Bouddhas. Il ne faut pas se méprendre ici. Il ne s’agit pas de devenir orgueilleux ou de prétendre être ce que l’on n’est pas mais de reconnaître notre potentiel. Comme vous le savez, tous les êtres ont la même nature de Bouddha. Nous sommes tous des " Bouddhas en puissance " et ce qui nous distingue d’un Bouddha, ce n’est pas notre essence même, mais les voiles qui recouvrent cette nature de manière provisoire et superficielle. Si nous n’avions pas cette nature, il serait inutile de pratiquer. Cela reviendrait, comme le dit la tradition, à essayer de produire du beurre en barattant de l’eau. Dans le Vajrayana, nous essayons de déjà nous mettre dans la peau d’un bouddha. Bien sûr, nous ignorons ce que peut être l’expérience subjective d’un bouddha, comment il pense et ressent les choses, mais nous pouvons quand même nous en faire une petite idée. Nous associons naturellement l’état de bouddha à des qualités telles que la sagesse, la compassion, la patience, etc. On n’imagine pas un Bouddha mesquin, colérique et méchant. En nous " sentant bouddha ", nous reconnaissons que ces qualités sont en nous et si nous restons vigilants pour en rester continuellement conscients, nous ne pouvons plus mal agir et toutes nos activités prennent un sens profond. Cette attitude devient une seconde nature et nous finissons par réellement développer les qualités symbolisées par la divinité sous l’apparence de laquelle nous nous visualisons. Il s’agit donc simplement de prendre conscience de notre nature fondamentale, de la nature fondamentale des êtres qui nous entourent et de l’environnement dans lequel nous évoluons. Il y a enfin une différence supplémentaire qui est l’importance du maître spirituel, une importance beaucoup plus grande que dans les autres voies bouddhiques. La pratique du Vajrayana nécessite un maître vraiment qualifié et de la part du disciple, un grande confiance et même de la dévotion envers le maître. Les maîtres tibétains qui enseignent le Dharma sont appelés Lamas. Il y a deux sortes de Lamas : les Lamas qui sont moines et donc célibataires, et les Lamas qui ne sont pas moines et peuvent avoir une famille. Le titre de " Lama " n’est accordé qu’aux personnes qui ont une bonne connaissance du Dharma et qui en ont l’expérience. Ce sont des gens qui ont étudié et pratiqué, et qui sont donc qualifiés pour enseigner et guider des élèves. N’importe qui ne peut donc pas – du moins idéalement – se faire appeler lama. |
Voyons maintenant le parcours que suit le jeune moine qui entre dans un monastère bouddhiste tibétain. Tout d’abord, il recevra des enseignements relatifs à la discipline monastique (Vinaya –Luât tang) et tous les enseignements théoriques de base. Chaque école a ce qu’on pourrait appeler un " manuel ", une sorte de " digest ", qui présente l’ensemble de la voie bouddhique selon un cheminement progressif, depuis les premiers pas sur la voie jusqu’à l’éveil, et condense l’essentiel de ce que tout pratiquant doit savoir (3) dans la perspective de chaque école. L’étudiant acquiert donc une connaissance globale sans avoir à lire une énorme quantité de soutras et shastras. Il apprend aussi les rituels, participe aux travaux d’intérêt commun et reçoit les instructions pour la méditation Shamata (chi quan) ou du calme mental et la méditation Vipassyana (truc quan), ou de la vision profonde. Suivant ses aptitudes et ses goûts, il pourra arrêter l’étude et se consacrer aux travaux dans le monastère, ou il pourra suivre une voie scolastique et continuer ses études pour maîtriser la littérature et la philosophie bouddhiste et d’autres branches du savoir traditionnel comme la médecine, l’astrologie ou les arts. Il pourra aussi opter pour une approche plus pratique des enseignements, notamment en faisant la retraite traditionnelle de trois ans et trois mois. Il n’y a pas que des moines qui font des retraites. Il arrive aussi que des laïcs reçoivent d’un lama des instructions essentielles qui condensent le coeur même des enseignements et qu’ils se retirent du monde pour méditer dans la solitude en appliquant cette " substantifique moelle " du Dharma jusqu’à ce qu’ils en aient atteint la réalisation. Dans le cas de la retraite de trois ans, le pratiquant devra d’abord accomplir les " pratiques préliminaires " ou Ngöndro (phap du bi tu tâp) en tibétain. Celles-ci consistent à d’abord assimiler l’essentiel du Hinayana en méditant sur les " Quatres pensées qui tournent l’esprit vers le renoncement et la pratique du Dharma ", c’est-à-dire :
Les sadhanas peuvent être pratiquées en groupe dans un temple, auquel cas elles s’apparentent plutôt à des rituels, mais elles sont aussi pratiquées en solitaire, comme une méditation. On considère qu’une sadhana contient sous forme condensée absolument tous les niveaux de pratique et tous les aspects nécessaires pour réaliser l’éveil. Le texte d’une sadhana contient des prières et des instructions de visualisation (quan tuong) et de méditation. Il y a des sadhanas très longues, qui peuvent prendre des heures, et d’autres très courtes, qui ne prennent qu’une demi heure ou une heure. Toutefois, même les sadhanas très courtes peuvent prendre des heures si le pratiquant le souhaite, car rien ne l’empêche de prolonger les périodes de méditation, de s’attarder sur une visualisation ou la récitation d’un mantra. Le but de la pratique d’une sadhana est de transformer et de purifier chaque activité, chaque étape de la vie humaine, ainsi que le processus de la mort et de la renaissance. Chaque sadhana appartient à l’une des 6 classes de tantra. Il y a des différences dans le déroulement de la sadhana et dans la manière dont on pratique en fonction de la catégorie de tantra à laquelle elle appartient, mais on peut simplifier les choses et schématiser les grandes lignes du déroulement d’une sadhana comme suit : A. Phase préparatoire
En effet, dans le Vajrayana, on ne parle pas d’abandonner ou d’éliminer les passions et les poisons mentaux, mais bien de les transformer, de les transmuer en leur sagesse correspondante en découvrant la nature essentielle de ce qui donne naissance à l’émotion perturbatrice. Supposons, par exemple, que nous soyons sujets à la haine et à la colère. Nous pouvons aborder notre problème en douceur et essayer de dompter la colère par la méditation d’un yidam paisible comme Quan Am ou Tara. Mais vous avez aussi tous certainement déjà vu des représentations effrayantes de divinités farouches, en vous demandant sans doute ce que venaient faire ces démons repoussants dans le monde des représentations bouddhiques généralement sereines et harmonieuses. Le fait est que nos émotions sont parfois violentes et sauvages et que des méthodes fortes et énergiques sont plus appropriées pour les mâter. Se visualiser par exemple comme Mahakala (trapu, noir, des crocs pointus dépassant d’une bouche grimaçante, brandissant un couteau d’une main et tenant un crâne dans l’autre, piétinant un cadavre, une peau de tigre nouée autour des reins) nous donne la force et l’énergie d’aborder de face l’émotion dans toute sa puissance. Mahakala n’est pas un démon assoiffé de sang tiré de croyances populaires, il est la manifestation courroucée de la compassion aimante d’Avalokitshvara (Quan Am). Et en définitive, il est la manifestation de l’énergie de notre propre esprit. Les yidams sont plus proches des archétypes jungien que des divinités rencontrées dans les religions théistes. Comme le but poursuivi par le méditant consiste à voir la nature de l’esprit en transcendant toute approche dualiste et conceptuelle, l’usage d’images et de symboles puissants offre une méthode plus globale, plus directe, qui ne fait pas uniquement appel à la compréhension intellectuelle. Se visualiser comme la divinité nous permet aussi de nous détacher de notre énorme attachement à notre mode d’existence actuelle, de notre fixation sur notre apparence physique présente et sur nos caractéristiques psychiques, notre caractère ou notre personnalité. Un homme peut ainsi avoir un bouddha féminin comme divinité de méditation, une femme se visualiser comme un bouddha masculin. Ces divinités ont aussi parfois 4 ou 6 bras, 3 têtes, tiennent toutes sortes d’objets symboliques ou ont une couleur rouge, bleue, blanche ou verte. La visualisation doit être claire et nette, mais transparente et immatérielle comme un arc-en-ciel, pour éviter de tomber dans le même attachement par rapport à la forme de la divinité de méditation que celui que nous avons pour notre enveloppe physique habituelle. Elle doit combiner la compréhension de l’unité des apparences et de la vacuité. Par ailleurs, la visualisation peut aussi être considérée comme une forme de méditation du calme mental. En effet, l’apparence de la divinité doit être aussi claire, aussi nette et précise que possible, ce qui nécessite une grande stabilité mentale. Quant à la dissolution de la visualisation, elle s’apparente à la méditation de la vision intérieure, qui s’efforce de découvrir la nature ultime de celui qui perçoit et de ce qu’il perçoit. La visualisation constitue une transformation de notre perception du plan relatif de la réalité. La dissolution nous fait entrer dans l’aspect ultime de la réalité. La phase de dissolution est aussi une pratique liée au processus de la mort. Il s’agit presque d’une " répétition générale " pour nous préparer à notre mort. Le bouddhisme tibétain décrit minutieusement le processus de dissolution des agrégats physiques (terre, eau, feu, air) et psychiques qui se produit au moment de la mort, ainsi que toutes les étapes qui suivent la mort jusqu’à la renaissance suivante. Il soutient que l’ignorance de ce processus et l’absence consécutive de conscience et de contrôle qui en découle est responsable de nos renaissances dans les états douloureux du Samsara. Impuissants et incapables de réagir correctement, nous sommes emportés comme fétus de paille par les puissantes forces karmiques. En nous " entraînant à mourir " consciemment, il est dit que nous n’aurons plus peur et que nous pourrons, suivant notre niveau de maîtrise de ce type de méditation, orienter positivement notre courant de conscience pour choisir un type de renaissance correspondant à nos aspirations. La pratique d’une sadhana fait enfin participer tous les aspects de notre être : le corps par l’usage de mudra (gestes symboliques), la parole par la récitation du mantra, et l’esprit par l’attention, les prières, les visualisations. Dans la vie quotidienne, le pratiquant maintient ce qu’on appelle la " fierté vajra ", c’est-à-dire la conscience de sa nature de bouddha – ce qui lui donne une approche très positive et dynamique de la vie. Il s’efforce aussi de maintenir la conscience que tous les phénomènes, toutes les apparences perçues et lui-même sont le jeu de la manifestation de la divinité et de son mandala, c’est-à-dire l’union de l’apparence et de la vacuité. Cela lui permet d’aborder la vie en prenant conscience que tous ce qu’il est en train de vivre est d’une nature comparable à la nature d’un rêve : net, clair, manifeste et pourtant sans aucune réalité intrinsèque. Nous retombons ici sur une notion qui doit vous être tout-à-fait familière : " Sac tuc thi không, không tuc thi sac ", la phrase bien connue du Prajnaparamita Hirdaya sutra (Bat Nha Ba la mât da Tâm Kinh) . J’arrêterai ici ma présentation sommaire du Bouddhisme tibétain et si vous avez des questions, je me ferai un plaisir d’y répondre dans la mesure de mes connaissances. |
Quelques ouvrages de référence
et lectures conseillées sur ce sujet :
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(1) - « If your intention is to
achieve enlightenment, liberation, the ultimate state of true happiness,
you cannot achieve this goal by merely practising tantric techniques. You
cannot succeed without having mastered bodhicitta. Without the awakened
mind of love and compassion, practising the generation stage and other
kinds of meditation will only make you tired, and in in the end you will
not have achieved anything, much less liberation. ... The tantric methods
of the generation phase are swift methods, but they succeed only by engaging
the Mahayana mind of bodhicitta. The Mahayana motivation is the foundation
of the Vajrayana achievement. ... A person who practices the Vajrayana
without the prerequisites of compassion is neither a Hinayanist nor a Mahayanist,
and certainly not a Vajrayanist. One who develops compassion and holds
the Bodhisattva vows prior to practising Tantrayana will be fully endowed.
For such a person, the Vajrayana will grow as a perfect stem from the root
of the Mahayana. Such a suitable vessel can truly achieve the results of
the Vajrayana practice. » Gyatrul Rinpoche, « Generating the Deity »
pp. 26, 27
Trad. : “Si vous avez l’intention de réaliser l’éveil, la libération,
l’état ultime du bonheur véritable, vous n’y parviendrez pas en ne
pratiquant que les techniques tantriques. Vous ne pourrez y parvenir sans
avoir maîtrisé la bodhicitta. Pratiquer le stade de développement et
d’autres types de méditation sans avoir l’esprit d’éveil plein
d’amour et de compassion, ne fera que vous fatiguer et, en définitive,
vous n’aurez rien accompli, et certainement pas la libération... Les
méthodes tantriques sont des méthodes rapides et efficaces, mais elles
ne fonctionnent que lorsque l’on a développé la bodhicitta, l’esprit
du Mahayana. La motivation du Mahayana est le fondement de tout succès
dans le Vajrayana. Quelqu’un qui pratiquerait le Vajrayana sans compassion
n’est ni pratiquant du Hinayana, ni un pratiquant du Mahayana, et certainement
pas un pratiquant du Vajrayana. Celui qui développe la compassion et s’engage
à tenri les voeux de bodhisattva avant de s’engager dans la voie tantrique
sera (un disciple) parfaitement qualifié. Pour une telle personne, le
Vajrayana croîtra comme une tige parfaite sortant de la racine du Mahayana
et elle pourra vraiment accomplir les fruits de la pratique du Vajrayana
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Ne pas mépriser les femmes qui sont de la nature de la sagesse |
(*)
Tantra : " gyu " = continuité, qui se réfère à la nature de l’esprit. Qu’elle soit voilée ou révélée, la nature de l’esprit qui est l’union de la clarté et de la vacuité, est toujours présente. Par extension, les moyens de réaliser cette continuité sont appelés " tantras ". Les tantras sont des textes qui utilisent un langage crypté, qui recouvre différents niveaux de signification, ce qui fait qu’une interprétation littérale peut s’avérer parfois tout à fait erronée. Ainsi on distingue 10 degrés d’interprétation (6 possibilités et 4 modes (sens pédagogique, sens définitif, avec intention, sans intention, dans un langage connu, dans un langage inconnu, de sens commun, de sens caché, de sens littéral ou de sens définitif.) D’où la nécessité d’un maître qualifié pour nous expliquer le texte au niveau de pratique qui nous convient. Une mauvaise interprétation peut nous conduire à l’impasse, ou pire encore. Les tantras intérieurs font appel à un travail sur les énergies du corps subtil (canaux, chakras, etc) qui ne peut se faire que sous la guidance avisée d’un maître qui connaît parfaitement ce type de pratique et ses dangers potentiels. Mal utilisées, ces techniques peuvent s’avérer dangereuses, créant des déséquilibres psychiques et physiques susceptibles d’entraîner des maladies ou des troubles mentaux. C’est en raison de ce danger potentiel que les tantras sont placés sous le sceau du secret : non pas parce que leur contenu serait mystérieux ou inavouable, mais parce que les divulguer sans discernement, les mettre à la portée de gens qui ne sont pas prêts à les pratiquer, peut mettre ces personnes en danger. Un exemple simple d’une interprétation double : Il est dit que Tara nous protège des huit sortes de peur (elles correspondent à ce qui devait effrayer les Indiens de l’époque, nous aurions sans doute une liste bien différente) : la peur des éléphants, des lions, des serpents, etc... Au premier niveau, cela s'explique par le fait qu'il y avait beaucoup d'éléphants en Inde, qui pouvaient très bien vous écrasez, détruire vos récoltes ou votre village. A un niveau plus profond, l'éléphant représente l'ignorance, aussi énorme qu'un éléphant, qui ne regarde pas où elle va et écrase tout sur son passage. De même, le lion symbolise l'orgueil, les serpents la jalousie, l'eau tourbillonnante des rivières le désir, le feu la haine, les fantômes (ou démons) le doute, les chaînes de fer des prisons l'attachement et les voleurs les vues erronées. Et il y a encore d'autres niveaux d'explication plus profonds. " Différentes " classes " de tantras L’école ancienne Nyingma distingue
6 classes de tantra (voir tableau) alors que les écoles " sarma " ou nouvelles
distinguent 4 classes de tantra (elles regroupent le Charia avec Yoga tantra
et l’Anu Yoga avec le Mahayoga). Chaque classe de tantra présente une
approche spécifique et un type de pratique particulière. On évolue d’une
approche très dualiste vers une approche où toute dualité est abolie.
Voici quelques unes des différences (la liste n’est pas exhaustive)
:
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1. Représentation de l’univers extérieur selon la cosmogonie indienne – symbolise tout ce qui est perceptible et imaginable. Sert en général d’offrande. (correspond à la perception impure) 2. Représentation symbolique de la quintessence de toutes choses. Support de méditation pour accéder à la réalisation de la quintessence des perceptions phénoménales. Centre = Sagesse des Bouddhas, Périphérie = déploiement des manifestations de la sagesse des Bouddhas. (correspond à la perception pure) (Finalement il n’y a pas de différence entre les deux types de perception.) Les mandalas peuvent être des représentations graphiques, des représentations tri-dimensionnelles, ou mentales (expérience méditative) On parle aussi du mandala du maître, d’une certaine initiation, etc... |
There are two types of secret offering : the offering of union and the offering of liberation. In the offering of union, one perceives the union of male and female principles of enlightened awareness by considering all appearances to be the natural expression of the male principle of enlightened awareness and by considering that the empty, wisdom nature of the objects is the female principle of enlightened awareness. These two, the appearance and its empty nature, are indivisibly one from the beginningless beginning. The nature of appearance is emptiness and the expression of emptiness is appearance. The fact that these two are indivisible is expressed throught the secret offering of union. The practices found in anuyoga are another expression of the secret offering. In the "tsa lung" (channels & energy) practices of anuyoga, the meditator works with the inner psychic body, the channels, the energies and the practice of union to taste the great bliss. In the generation stage practices as in all inner practices, the deities within the practitioner's body are seen in union with consort. This is called yab yum. Yab is the male principle, the natural expression of appearance, and yum is the female principle, the natural empty wisdom nature of appearance. The actual offering of union, from a secret point of view, occurs when the deities' secret centers are joined. The secret offering is always expressed by this union. A practitioner of the completion stage will visualize his/her own form as the deity while engaging in practices that involve moving the energy up and down through the channels where the different experiences of bliss are achieved, moving the energy between the visualized bodies of the two deities. It is not exactly clear how Westerners got the idea that married couples, or for that matter, any couple having a lot of desire for each other, could practice the Vajrayana techniques taken from tantric Buddhism or some other spiritual tradition. They try to visualize themselves as deities but then engage in an ordinary sexual act based on attachment/desire. They want an experience of something more blissful than ever before. This is one of the biggest mistakes a person can make. This activity does not even approximate the practices we are discussing. One who attempts tantric practices in this way, lacking the proper prerequisites and permission from the vajra guru, just accumulates causes for lower rebirth, even perhaps causes for the lowest possible rebirth, since this is to misuse and disrespect pure Dharma practice. Pure Dharma has nothing to do with ordinary sexual desire. Since deities have no desires, it is a grave error to visualize oneself as a deity to achieve purposes conceived by a desiring mind. When an anuyoga tsa lung practitioner becomes adept, gaining complete control over his or her channels, winds and essential fluids,he or she can perform extremely profound practices. A yogi or yogini who practices with a partner must not lose even one drop of essential fluid and must definitely be free of desire or attachment. To perform these secret practices, a practitioner must be on a very high level and must practice solely for the sake of sentient beings. When a practitioner arrives at this level of practice, it is very wonderful, but one must wait until the right time arrives. The practices of union are the most secret for a number of reasons. They are protected with secrecy because of all desirable activities, human beings have the greatest desire for sex, and thi desire causes them to misuse and misinterpret the practices. You must understand that the Vajrayana practices are the swiftest of all Buddhist teachings and the most secret. It is very important to refrain from running after teachers and receiving empowerments without first checking with your teacher to see whether you are ready for them. Be very careful because if you get involved with something for which you are unprepared, the repercussions could be very serious. It could even ruin your path." Ven.
Gyatrul Rinpoche, "Generating the Deity", Snow Lion publication
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